Retraites : La comparaison européenne, une fausse bonne idée

Alors que la réforme des retraites trouble l’ordre public en France, la comparaison avec nos voisins européens crée un débat parallèle. Entre âge de départ, années de cotisations et emploi des seniors, toutes les données présentées ne seraient pas à prendre en compte pour dresser une analogie pertinente. 

Plusieurs syndicats étaient présents lors de la grève du 7 février 2023 contre la réforme des retraites. (Photo : Martin Bertrand)

« Cette réforme [des retraites] est indispensable quand on se compare en Europe ». Ce sont les mots qu’Emmanuel Macron a prononcés quinze jours après l’annonce gouvernementale du projet de réforme des retraite. Depuis, la comparaison entre les différents pays européens a beaucoup été faite, notamment sur l’âge de départ des travailleurs. Pourtant, « Il ne faut pas faire d’amalgame entre l’âge légal de départ à la retraite et l’âge effectif de départ, déclare le chercheur en science politique, spécialiste des politiques sociales en Europe, Bruno Palier. Dans la plupart des pays européens, on part plus tôt à la retraite que l’âge légal établi, grâce aux systèmes de retraite anticipée, ou de cotisations, qui sont différents des nôtres en France. Aujourd’hui, l’âge effectif de départ en Europe est de 63 ans. »

Dans un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le panorama des pensions en 2021, le calcul de la moyenne d’âge de départ effectif des travailleurs européens est de 62,9 ans. Et ce, toutes situations confondues. Le genre, l’année d’entrée dans la vie active, la retraite pleine ou non…

Source : Commission Européenne, The 2021 Ageing Report, mai 2021, p.59.

*La Suède a adopté le principe d’un âge de départ flexible, avec la possibilité de toucher une pension à partir de 62 ans. En règle générale, une pension complète ne peut toutefois pas être perçue avant 65 ans.

La vision du travailleur

Les différences d’âge de départ entre les pays européens existent, selon Bruno Palier, pour des raisons démographiques et économiques. La population européenne vieillit. 21% des Européens ont plus de 65 ans aujourd’hui, soit 3 points de plus qu’en 2011. Une question demeure donc au centre des réformes depuis plusieurs années : la qualité des travailleurs séniors. « Dans notre vision française, le travailleur est un coût. Comme les salaires augmentent avec l’âge, les entreprises françaises cherchent à se débarrasser de leurs employés vieillissants. Après 50 ans, si vous demandez à votre patron d’avoir une formation, on va vous dire “vous être trop vieux” », explique le spécialiste, aussi professeur à Sciences Po Paris.

Une vision partagée dans le sud de l’Europe, et critiquée dans les pays du Nord. D’un côté, des taux d’emploi de plus de 70 % pour les 55-64 ans sont observés en Suède (76,9 %, données Eurostat 2021), au Danemark (72,3 %), en Allemagne (71,8 %), aux Pays-Bas (71,4 %). De l’autre côté, des taux d’emploi inférieurs de 15 points par rapport au nord : en France (55,9 %), en Espagne (55,8 %) et en Italie (53,4 %).

Ces divergences d’opinion sur les travailleurs âgés séparent l’Europe en deux parties bien distinctes, ce qui rend difficile une comparaison éclairée et éclairante pour Bruno Palier. « Dans les secteurs de l’économie allemande (automobile, chimie, industrie…), le salarié est extrêmement important, puisqu’il est la clef de la qualité du produit que le pays cherche à exporter. En Suède c’est la même chose. Donc, ces employés, il faut les former, les garder en forme, puisque ce sont eux qui sont au cœur du système de production. C’est l’opposé de la vision française », insiste-t-il. 

Un sujet moins quantifiable que les âges de départ, eux-mêmes pas toujours simples à déchiffrer. « On peut continuer de se comparer autant qu’on veut ! Mais finalement, si on traite mieux les salariés [en France], si on améliore les conditions de travail, alors les gens souhaiteront nécessairement travailler plus longtemps », conclut le chercheur en sciences politiques.

Théa Ribault.

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