En Île-de-France, les voyageurs du RER à l’épreuve de la grève

Lors de grands mouvements sociaux, comme celui du mardi 7 février dernier, le manque de transport engendre des problématiques temporelles, sociales voire sanitaires. Une situation qui allonge le temps d’une journée les distances géographiques et culturelles, entre Paris et ses banlieues.

 Mardi 7 février, un RER D sur quatre circulait. (Photo : libre de droits)

Au milieu de la plus grande station de métro d’Europe, c’est la panique. Quelle ligne de transilien est ouverte aujourd’hui ? A quel quai va arriver le train, s’il arrive ? Comment avoir les informations ? Au milieu de Châtelet, à l’heure de pointe un jour de grève nationale, personne n’est en capacité de répondre à ces questions. Les panneaux informatifs du quai du RER D direction Goussainville n’indiquent qu’un seul message depuis plusieurs secondes : “Aucun train ne circule sur ces voies pour cause de travaux”. Le seul RER de l’heure passe dans 5 minutes. Maintenant, il faut découvrir par soi-même où il va arriver.

“Vous savez où aller ?” Personne ne répond puisque personne ne sait. Comme dans un escape game qu’il faudrait résoudre en un temps record, tous les passagers cherchent un quai probable pour l’arrivée de leur train. Les gens se bousculent dans les escaliers. 17h42, une vieille dame en haut d’une voie parle pour elle-même : “Ah! Bha c’est là !”. Un troupeau de cinquante personnes à ses trousses descend l’escalier pour vérifier son information. C’est gagné, c’est bien ici que le RER D Nord va passer, dans 2 minutes maintenant. Une fois dedans, ce sera 7 arrêts maximum, soit une demi-heure de trajet. Si tout va bien.

Ceux qui ont trouvé la bonne réponse à l’énigme du quai ont le luxe de choisir leur wagon et leurs places à l’arrivée du train. Pour les autres : joyeux Hunger Games ! Le nombre de passagers s’accumule dans chaque voiture. On se serre, l’air devient moins respirable. Certains forcent le passage pour se trouver un endroit agréable où s’adosser. D’autres tentent tant bien que mal de respirer, collés aux portes du wagon qui viennent de se refermer.

Le train démarre. Une nouvelle expérience olfactive s’offre à chaque voyageur, entre transpiration de journée de travail, tabac froid et chaussettes portées deux jours de suite. Chacun essaie de distraire ses sens par diverses activités. Les chanceux assis rêvassent sur leurs écrans. Les autres, moins à l’aise, cherchent une position de voyage confortable. Du moins, plus confortable que d’avoir la tête dans le sac à dos du voisin, qui n’a pas pensé le poser à ses pieds.

Gare du Nord, deuxième arrêt. Un trafic de montées/descentes s’enchaîne péniblement. Les uns tentent de créer un passage à ceux qui veulent sortir du wagon surchargé. Les autres forcent pour y entrer, en sachant que s’ils n’y parviennent pas, c’est une nouvelle heure d’attente qui les attend. “Arrête de bloquer la porte, tu empêches le train de partir ! S’il n’y a pas de place, tu ne montes pas!”, crie quelqu’un. “C’est mort, moi aussi j’ai le droit d’avoir mon RER ! J’ai pas envie d’attendre une heure de plus !” rétorque son interlocuteur. Une dispute, des insultes, un sac à dos qui prend toujours trop de place, et soudain, un bruit strident.

La voix de la RATP résonne dans le train complet : “Le signal d’alarme vient de se déclencher pour le RER D en direction de Goussainville. Le temps de vérifier ce qu’il se passe, le train restera à l’arrêt sur les voies pendant une quinzaine de minutes. Merci !” Les gens soufflent, insultent le passager qui bloque les portes. Un homme avec un gilet vert et bleu arrive en courant. “Vous avez vu une alarme rouge clignoter dans le wagon ?” demande-t-il, essoufflé. Tout le monde secoue la tête. L’homme repart. “Vous voyez, c’était pas moi le problème !”, répète l’homme qui bloquait les portes quelques secondes plus tôt. Quelques insultes fusent à nouveau et le train reprend son chemin.

Stade de France cette fois. Personne ne descend. La déception se mêle au désespoir sur le visage des personnes présentes sur le quai. Impossible de rentrer dans ce train, qu’ils attendent depuis de très longues minutes. A l’intérieur des wagons, on baisse la tête, toujours sur les téléphones portables, refusant de s’attribuer une quelconque responsabilité dans la situation des gens à l’extérieur. Les portes se ferment sans avoir accueilli un seul nouveau passager et le RER file toujours plus au nord de la capitale. “Excusez-moi, vous ne voulez pas mettre votre sac à dos à vos pieds s’il vous plaît ? Il dérange tout le monde depuis tout à l’heure ”, finit par oser une jeune fille au milieu du wagon.

Gare de Saint-Denis. C’est le début de la libération. Beaucoup de passagers descendent, moins montent. On respire mieux. La sensation de ne plus être compressé contre une porte, une barre ou un siège donne l’occasion aux voyageurs d’enfin se détendre. Depuis combien de temps sont-ils piégés dans ce wagon ? Leurs écrans reflètent l’ennui, le besoin de s’occuper : réseaux sociaux, interfaces de messagerie instantanée et applications de rencontre. Un homme en costume propose la place sur laquelle il est assis depuis Châtelet à une jeune femme. Elle refuse par politesse. Il lui tend un immense sourire en guise de réponse, comme s’il n’avait pas eu l’occasion de sourire de la journée.

Pierrefitte-Stains, c’est l’apothéose. L’air semble faire le plein d’oxygène et d’azote à mesure que les wagons se libèrent, les uns après les autres. Toutes les sensations présentes pendant le voyage, les odeurs, le bruit, l’espace restreint… Toutes disparaissent au fur et à mesure que le train se vide. Les gens s’assoient, sourient, ferment les yeux de soulagement. Ils ont survécu au RER D à l’heure de pointe lors d’une journée de grève. Aucun malaise, aucune bagarre, aucun vol : c’est une réussite sociale collective. Les voyageurs se regardent, sereins. Désormais, l’arrivée jusqu’à Goussainville n’est qu’une question de courtes minutes. 

Théa RIBAULT

Post navigation

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *