Reportage : L’Oeuvre de Ken Loach toujours d’actualité en 2023

Le réalisateur britannique à la double palme d’or, Ken Loach, était l’invité exceptionnel du festival des Journées cinématographiques de Saint-Denis, mardi 7 février. Après une projection de son documentaire Which side are you on, le réalisateur très engagé a répondu aux questions du public avant de finalement porter une pancarte « Non à la réforme Macron » en guise de soutien à l’ensemble des grévistes. Récit d’une soirée unique.

Il est 18h30 au cinéma l’Écran de Saint-Denis. Dehors, des centaines de personnes déambulent dans le centre commercial de la ville. Certaines sont pressées, d’autres marchent plus lentement en se tenant la main. Quelques affamés se précipitent déjà vers les nombreux fast-foods des environs qui dégagent une délicieuse odeur de friture. À l’intérieur du cinéma, une dizaine de techniciens préparent leurs caméras pour filmer la soirée exceptionnelle qui les attend. Dans moins de deux heures, le réalisateur de 86 ans à la double palme d’or, Ken Loach, montera sur la scène de la salle 1 pour tenir une conférence sur l’ensemble de son Oeuvre. “C’est seulement la troisième fois qu’il vient en France, livre Dominique Bonnot, le technicien qui supervise la captation vidéo de la conférence. C’est d’ailleurs la première fois qu’il vient à Saint-Denis, on va vivre un moment exceptionnel”, continue-t-il, des étoiles dans les yeux.

Le temps passe et il est maintenant 19h30. Dans la salle 1, la tension monte entre Dominique Bonnot et ses techniciens, qui ne sont toujours pas prêts à accueillir “maître Ken Loach”, comme l’appelle l’un d’entre eux. Dans le hall d’entrée du cinéma, les spectateurs se font de plus en plus nombreux, à tel point que la queue s’étale sur plusieurs dizaines de mètres à l’extérieur du cinéma. Il faut dire que l’événement à venir est de taille. Certains sont d’ailleurs venus de Rouen spécialement pour l’occasion. Lorsque l’on demande à Nadine, 52 ans, la raison de sa présence, elle répond simplement et instinctivement “parce que Ken Loach.” Depuis plus de 50 ans, le réalisateur dépeint, à travers ses films, les inégalités sociales et les divisions qu’elles engendrent au Royaume-Uni.

Plus de 200 personnes présentes à la conférence

Ça y est, il est 20h15. Ken Loach peut désormais arriver d’une minute à l’autre. Rapidement, la couleur bleu des quelque 200 sièges de la salle 1 disparaît pour laisser place à des visages issus de toutes les générations. Certains spectateurs reconnaissent des amis assis quelques rangées plus haut. “Tu n’as pas reconnu Pascal ?” peut-on entendre par dessus le brouhaha qui envahit progressivement l’entièreté de la pièce. Derrière les caméras, tous les techniciens sont prêts et commencent à filmer une femme qui joue du bandjo à droite de l’estrade, en attendant que tout le monde s’installe. Après deux chansons catalanes, la musicienne laisse sa place à l’animateur de la soirée. Lorsque ce dernier demande “qui a manifesté aujourd’hui ?”, un peu plus de la moitié des spectateurs lèvent la main. Soudain, les lumières s’éteignent, les discussions se coupent et les photographes se bousculent près de l’estrade.

Accompagné de sa traductrice et acclamé par tout le public, Ken Loach traverse la salle et s’assied dans l’un des deux fauteuils installés sur la scène. “Merci, vous êtes très généreux”, prononce-t-il avec son accent britannique. Après avoir rapidement raconté l’histoire de son documentaire Which Side are you on, qui traite des grèves des mineurs britanniques de 1984 sous Thatcher, Ken Loach quitte l’estrade, toujours accompagné par sa traductrice.

Le film commence, d’abord sans son. Certains spectateurs se servent alors des sous-titres pour prononcer eux-mêmes les premiers dialogues du film, ce qui amuse l’ensemble du public. Le documentaire est projeté une seconde fois, toujours sans son. Les rires se font de plus en plus nombreux jusqu’à ce que le début du documentaire soit finalement projeté une troisième fois, cette fois-ci avec un son naturellement étouffé par les applaudissements du public. Au cours de la séance, les mots forts de certains témoignages déclenchent quelques grimaces sur les visages de la salle. D’autres personnes profitent quant à eux de la projection pour rattraper de longues minutes de sommeil.

A 21h30, après 53 minutes d’un documentaire poignant, le réalisateur à la double palme d’or fait son grand retour sur la scène. Les spectateurs, sans doute intimidés par Ken Loach, ne sont d’abord pas nombreux à vouloir prendre le micro pour lui poser une question. “Merci d’exister et merci pour toutes vos œuvres qui sont exceptionnelles”, déclare finalement le premier interlocuteur du réalisateur. Ne maîtrisant pas suffisamment la langue française, Ken Loach se contente de répondre en anglais. Certains membres du public, qui comprennent quelques de ses blagues, n’attendent pas la traduction de ses propos pour rire ou esquisser un sourire.

“Non à la réforme Macron”

Il n’aura pas fallu attendre très longtemps dans cette conférence pour voir le syndicaliste dionysien Kamel Brami monter sur scène avec trois autres de ses “camarades.” Il faut dire que la venue de Ken Loach à Saint-Denis en ce 7 février 2023 est une bonne occasion pour les grévistes de faire entendre leur voix. “Je suis un peu le Philippe Martinez du 93”, déclare Kamel Brami avant de dérouler une pancarte portant l’inscription “Non à la réforme Macron.” Amusé par cette intervention, le public applaudit le syndicaliste qui n’en reste pas là puisqu’il demande à Ken Loach de venir porter la pancarte avec lui. Malgré ses 86 ans, le réalisateur, qui reconnaît des similitudes entre les manifestations britanniques de 1984 et les manifestations contre la réforme des retraites en France, se lève et rejoint Kamel Brami sur le devant de la scène. “Si avec ça on ne gagne pas…”, livre le syndicaliste, filmé et photographié par des dizaines de spectateurs.

Après cette courte interruption, Ken Loach et sa traductrice redonnent la parole aux spectateurs avant de finalement quitter la scène à 22h 30, sous les applaudissements du public. “C’était une soirée magnifique”, raconte Nadine, qui a assisté à la conférence au premier rang. “Je n’avais jamais vu ce documentaire [Which Side are you on] et je suis agréablement surprise. C’est génial qu’un réalisateur comme Ken Loach soit ici en ce jour de grève. C’est un pilier du cinéma social”, poursuit-elle. Petit à petit, la salle 1 du cinéma l’Écran se vide et Ken Loach disparaît dans l’obscurité de la pièce. On ne le reverra plus, le réalisateur britannique étant trop fatigué pour échanger avec d’autres personnes.

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