Des étudiants en BTS se mobilisent pour la première fois face à la réforme des retraites

La journée de mobilisation contre la réforme des retraites à rassemblée moins de manifestants dans le cortèges. Pourtant, certains se mobilisent pour la première...

La journée de mobilisation contre la réforme des retraites à rassemblée moins de manifestants dans le cortèges. Pourtant, certains se mobilisent pour la première fois.

Les étudiants grévistes du BTS audiovisuel, au sortir de l’AG interprofessionnelle
©Serge Lima–Ménil

A la porte de Paris, avec le stade de France dans notre dos, nous rejoignons la bourse du travail de la Seine Saint-Denis. Nous sommes au matin du jeudi 16 février, quatrième jour d’appel à la mobilisation contre la réforme des retraites. Peut avant 11:00, la salle Louise Michel se remplit pour le début de l’assemblée générale (AG) interprofessionnelle. Il y fait froid, les lumières sont blanchâtres et les murmures emplissent l’air. Autour du grand carré de tables, de très nombreux jeunes, qui ne semblent pas coutumier du fait, sont présents. Le reste de l’assemblée est composé de professeurs, d’institutrices et d’employés RATP. Plus vieux d’une trentaine d’années, ils semblent quant à eux être des habitués des lieux.

Alors que l’AG débute, la parole est donnée à chacun, afin qu’il présente les actions menées dans son corps de métier. Du côté des enseignants, la situation est à chaque fois similaire, quelque 30% grévistes en salle des profs, ce qui n’est “pas mal vu le contexte”. Ce contexte, c’est celui d’une manifestation prévue avant l’appel à une grève massive le 7 mars prochain. Manifestation qui se fait aussi en période de vacances scolaires ; recette parfaite pour que les effectifs des cortèges soient en baisse. Pour Alexis, chauffeur de bus à la RATP, on est dans le “creux de la vague du mouvement”.Pour les étudiants en université présents dans l’assemblée, le constat n’est pas satisfaisant. Malgré quelques AGs interfacs et une manifestation sauvage [spontanée et non déclarée, ndlr.] partie de la Sorbonne, le mouvement ne prend pas dans les campus. Un professeur de l’Université de Nanterre confirme que “ça bouge pas, y’a pas d’occupation”. Pour une étudiante de Condorcet, le constat est le même : “Les chercheurs ils font leur travail de gauchistes en écrivant des articles, ils pensent que ça sert à rien de se mettre en grève”.

Des nouveaux venus à l’AG

Dans cette ambiance un peu morose, la troupe de jeunes dénote. Quand leur tour de parole arrive, certains, déstabilisés, se regardent pour tenter de savoir qui parlera en leur nom. Finalement c’est un jeune homme d’une vingtaine d’année, mégaphone blanc et rouge à ses côtés, qui prend la parole. Eux, ce sont les étudiants en BTS audiovisuel au lycée Suger, à Saint-Denis. Ils viennent de se mettre massivement en grève à la veille des vacances. Jusqu’alors pas mobilisés, ils ont effectué un blocus filtrant à l’entrée de leur établissement. Le but étant de sensibiliser les lycéens aux enjeux de la réforme.

La conversation est maintenant dirigée sur l’organisation d’une caisse de grève, afin d’aider les salariés à se mobiliser, car “les gens ne se mettent pas en grève à cause de la thune”. Pour Cathy, enseignante dans une école voisine, “il faut voir comment on peut trouver du fric, parce que c’est pas les grévistes qui vont nous financer”. Pour répondre à cette difficulté, une kermesse est en train d’être organisée pour le 5 mars, lors du marché de Saint-Denis. Une étudiante de BTS prend alors la parole. Elle commence par dire qu’elle a “peur de poser des questions bêtes” mais de suite on lui répond que “pas du tout”. Elle demande alors si des ventes de gâteaux menées par le BTS pourraient aider. Alors que l’idée est encouragée, certains chuchotent entre eux : “organiser une kermesse ça me gave”, d’autres on contraire son volontaires pour aider.

“Qu’est ce que ça veut dire ?”

Quelques minutes plus tard, alors que le débat se fait autour des mandats pour la caisse de grève, la même étudiante demande, un peu timidement, de clarifier ces termes qui leur sont inconnus. Des sourires bienveillants se dessinent sur les visages de certains habitués. On explique alors que “mandater ça veut dire donner à des personnes la légitimité de faire quelque chose au nom de l’AG” et que “le tuilage c’est un passage d’expérience entre les gens qui savent faire et les nouveaux”. “Enfin, c’est comme ça qu’on utilise les termes ici”. Pour certains, cette AG est une initiation au militantisme syndical.Autour de table, des tracts circulent de mains en mains. Dessus, des appels à manifester contre la loi Darmanin ou encore des revendications pour la retraite à 60 ans. La conversation tourne autour des moyens de sensibiliser et mobiliser. Pour certains étudiants du BTS, il faut parler d’espoir parce que “la jeunesse n’y croit plus et a baissé les bras”. Par dessus tout, pour mobiliser la jeunesse “il faut que les jeunes parlent aux jeunes, avec leurs mots”. Le jeune homme au mégaphone reprend la parole et propose l’aide des étudiants pour réaliser des cinétracts. C’est au tour des militants aguerris de ne pas comprendre les termes. Il explique “que c’est une forme vidéo avec un message politique” et que “pour nous c’est cool de faire ça, on a les compétences et l’envie”. L’idée plaît beaucoup dans l’assemblée et une équipe pour gérer la communication sur les réseaux sociaux se met en place. Il est maintenant midi passé et l’assemblée générale doit prendre fin pour commencer à rejoindre le cortège, qui s’élance de la place de la Bastille à 14h.

Contre la réforme des retraite… mais pas que

La salle se lève et remet en place les tables. Dans le brouhaha, les gens conversent, se donnent des nouvelles ou essayent de se fixer un point de rendez- vous dans la manifestation. A la sortie du grand bâtiment blanc, on croise l’étudiant au mégaphone. Il s’appelle Oscar et étudie les métiers de l’image. Avec son bonnet Levis vissé sur la tête, une enceinte sans fil en bandoulière à laquelle un verre de festival est accroché par un mousqueton et un sticker communiste sur son mégaphone, il a le parfait apparat du militant expérimenté.

Il sourit alors et explique qu’il est “politisé depuis longtemps, de par ma famille”. Il a “lutté pendant deux ans contre la réforme du bac dans mon lycée” et a “participé à toutes les AG, toutes les actions et tous les blocus”. C’est une fois le bac en poche qu’il a arrêté de militer, parce que “ça servait à rien”. Mais alors, pourquoi revenir maintenant ? Pour lui “la vraie question, c’est pourquoi avoir arrêté ?”. Comme pour ses camarades, c’est “l’accumulation de beaucoup de choses” qui le pousse à se mobiliser. Il pense par exemple au vote contre le repas à 1€ pour tous les étudiants. Leurs pancartes reflètent ces revendications. On y lit “Travailler + plus manger -” ou encore “Fumer tue – La précarité étudiante aussi !!!” Quand on lui demande quel est l’objectif de la mobilisation du BTS, il affirme que “l’important c’est de maintenir l’implication sur du long terme”. Malgré tout il reste lucide, “c’est le premier jour, faut pas s’emballer non plus”. Il sait que “ça peut s’arrêter, il faut faire attention à pas s’essouffler pendant les vacances”. Il trouve aussi un sens dans cette mobilisation, grâce aux cinétracts. Pour lui “c’est super pour aligner ses valeurs avec ce qu’on aime faire dans la vie, allier la politique avec nos projets vidéos, c’est tout bénef !”

La mobilisation spontanée d’étudiants normalement peu impliqués pose la question de l’entrée massive dans le mouvement des universités. Est-ce une étincelle militante ou le début d’un brasier estudiantin ? Un appel à un blocage des facs les 7, 8 et 9 mars prochains est lancé par les syndicats de jeunesses.

Serge Lima–Ménil